Bitcoin, l’incompris

Tenter d’expliquer Bitcoin et son protocole est un exercice bien délicat pour lequel il faut jongler entre vulgarisation et nécessité d’évoquer des concepts techniques. Sans compter qu’il existe quelques pièges comme celui de vouloir présenter le protocole Bitcoin à travers la technologie blockchain.

Ce piège récurrent se matérialise à travers deux affirmations.

Je ne crois pas au bitcoin mais à la blockchain

La révolution ce n’est pas le bitcoin, c’est la blockchain

Ce texte aura donc pour objectif d’expliquer ce qu’est Bitcoin et également de démonter le piège décrit précédemment. 

Pour information, une partie de l’argumentaire reposera sur le livre « The Internet of Money » Ce livre est une compilation des conférences de Andreas M. Antonopoulos*.

Couverture du livre "The Internet Of money"

C'est quoi le Bitcoin ?

Avant de commencer, faisons un petit point vocabulaire.

Lorsque j’évoque bitcoin (b minuscule), je parle de la crypto-devise / crypto-monnaie (pas de la monnaie digitale s’il vous plaît).
lorsque j’évoque Bitcoin (B majuscule), je parle de la technologie.

Pourquoi a-t-il été créé ?

La réponse est assez simple, il suffit d’aller chercher dans le livre blanc de son créateur Satoshi Nakamoto.

Pour l’anecdote, l’auteur ne parle pas une seule fois de blockchain ;).

Satoshi Nakamoto fait un état des lieux du système de paiement pour le e-commerce. Il constate qu’il repose essentiellement sur les grandes institutions financières. Ces institutions étant obligées de gérer les litiges entre acheteur et vendeur ne peuvent pas proposer des transactions irréversibles. 

Ce qui pose deux problèmes :

  • la médiation augmente le coût de la transaction ce qui rend impossible les petites transactions ;
  • pour des services irréversibles, cela peut induire une méfiance plus grande des vendeurs vis-à-vis de leurs clients.

Puisque l’intermédiaire de paiement est obligé de traiter les cas litigieux, il faut donc le supprimer.

Comment cela fonctionne ?

Sans doute le sujet le plus complexe à aborder, il est pourtant assez simple à synthétiser.

Bitcoin (avec un B majuscule) est un assemblage de technologies opensource (gardez cela en tête, c’est important) permettant de créer et d’entretenir un livre de compte décentralisé à travers un réseau informatique ouvert. Les pages contiennent l’ensemble de toutes les transactions et sont rangées dans l’ordre chronologique. Chaque page est certifiée par des « notaires » en compétition. Le livre, ses pages et les transactions sont en permanence diffusés et dupliqués à travers le réseau. Résultat, le livre de compte est détenu par plusieurs milliers de personnes.

En allant plus loin, chaque page :

  • contient un ensemble de transactions de bitcoins ;
  • est datée et signée électroniquement. Il n’est donc pas possible de la modifier, car cela demanderait de modifier toutes les copies du livre et invaliderait la signature électronique ;
  • fait référence à la page précédente. La modification d’une page affecterait donc les pages suivantes.

D’autre part :

  • une transaction ne peut être envoyée qu’à la condition de posséder un secret ;
  • une compétition est réalisée à chaque nouvelle page pour désigner quel sera le notaire pouvant la certifier ;
  • le notaire ayant certifié une page est récompensé par la création de nouveaux bitcoins ainsi que par des frais de transaction.



Pour faire coller mon image à la réalité, on dira que :

  • les notaires sont les mineurs ;
  • les pages sont des blocs ;
  • le livre de compte est chaine de blocs (block-chain) ;
  • la compétition est la « preuve de travail »;
  • le secret est la clef privée ;
  • un ensemble de clef privée s’appelle un portefeuille électronique (wallet) ;
  • la blockchain est répliquée et stockée par les nœuds du réseau (des ordinateurs en réseau) ;
  • les blocs et les transactions sont diffusées par les nœuds.

Ce qu'on ne vous dit pas

… et que j’aimerais lire plus souvent.

Un assemblage de technologies

Bitcoin est un assemblage des technologies suivantes :

  • la cryptographie asymétrique (utilisé notamment pour de la signature de document électronique) ;
  • le réseau peer-to-peer ;
  • la blockchain ;
  • la preuve de travail. (hashcash).

L'ouverture, un concept clef

L’ouverture du Bitcoin est un fondement pour comprendre en partie la valeur de la technologie.
Cette ouverture permet d’apporter ceci :

  • toutes les transactions sont publiques (ce qui permet aux spécialistes, aux chercheurs et aux curieux d’auditer en profondeur toutes les transactions). C’est quelque chose d’inconcevable dans nos systèmes actuels (Visa, Mastercard, SWIFT etc…) ;
  • le code est ouvert à tous (opensource). Il peut donc être audité en permanence par n’importe qui disposant des connaissances suffisantes. Ce n’est pas le cas des systèmes actuels ;
  • n’importe qui peut se créer un ”compte” sans demander d’autorisation à qui que ce soit ;
  • le réseau est ouvert et n’importe qui peut s’y raccorder facilement (à l’instar des logiciels P2P) sans avoir à payer pour un terminal spécifique (un smartphone ou un paper wallet peuvent suffire) ;
  • n’importe qui peut développer son application sans rien demander à personne. Ce n’est pas le cas des systèmes actuels ;
  • n’importe qui peut créer assez facilement sa monnaie locale pour un coût dérisoire (association, communauté etc.).

Bitcoin est un réseau bête

Contrairement ce qu’on veut vous faire avaler, Bitcoin n’est pas extrêmement complexe dans son utilisation classique. Évidemment, les détails techniques ne sont pas à la portée de tous… mais, seriez-vous capable d’expliquer le fonctionnement de notre système monétaire à un enfant de 5-6 ans ?

Je dirais même plus,

Seriez-vous capable de vous l’expliquer ?

Le protocole Bitcoin est bête dans le sens qu’il ne possède pas une grande intelligence. Il ne fait que transporter, certifier et enregistrer des transactions. L’intelligence est portée par les applications connectées au réseau Bitcoin.
Vous trouvez l’usage de bitcoin trop complexe ? Développez donc une application permettant de créer une couche d’abstraction afin que tout le monde puisse utiliser Bitcoin aussi facilement que de sa carte de crédit. C’est tout à fait réalisable et réaliste.

Pour finir, dites-vous Bitcoin est tellement bête :

  • qu’il ne vérifie pas si un destinataire existe (vous pouvez perdre vos bitcoins en vous trompant dans l’adresse du destinataire) ;
  • qu’il ne peut pas annuler une transaction ;
  • qu’en cas de perte de vos clefs, personne ne pourra vous aider ;
  • qu’en cas de vol de vos bitcoins, personne ne pourra vous aider.

 

Bitcoin et sa sécurité

On parle souvent de Bitcoin comme quelque chose d’inviolable sans vraiment arriver à l’expliquer simplement. C’est surtout que l’on n’a pas compris ce que le mot décentralisation veut dire.

Contrairement aux réseaux de paiement actuels, Bitcoin est totalement ouvert… Comment peut-il être autant sécurisé ?

Tout simplement parce qu’il (re) distribue totalement le modèle de sécurité.

Dans un monde où vous faites confiance à votre banque (sic) pour garder votre épargne au chaud, Bitcoin vous propose d’être votre propre banque. Lorsque vous installez un wallet (un portefeuille de cryptomonnaie), vous installez en réalité une banque !

Bitcoin vous propose d’être votre propre banque.

Mais ce n’est pas tout !. En étant mineur, vous contribuez à la sécurité des transactions et du Bitcoin.
Lorsque vous installez un nœud Bitcoin, vous contribuez à assurer une meilleure disponibilité du réseau et du livre de compte.

Bitcoin vous propose d’être acteur du réseau et plus seulement utilisateur.

De temps à autre, on entend l’histoire d’une personne ayant « perdue » ou s’étant fait voler ses bitcoins. Parfois, c’est même une plateforme de marché qui se fait pirater (Mt Gox).
On pourrait également citer les affaires The DAO et Parity pour Ethereum.

Si à aucun moment Bitcoin n’a été mis en défaut depuis sa création, c’est bien parce que l’intelligence (et donc les vulnérabilités) est portée par les applications (wallet, plateforme de marché, mineur, noeud etc…).

La cryptomonnaie comme une assurance

On oppose souvent Bitcoin à Ethereum (une autre cryptomonnaie) en précisant que la première est dédiée pour l’échange monétaire et la seconde pour les contrats intelligents. On en déduirait que la fonction monétaire d’Ethereum serait facultative voire inutile.

C’est passé complètement à côté de son rôle crucial dans la sécurisation du réseau.

En effet, au-delà de l’échange marchand, on peut noter deux fonctions à une cryptomonnaie.
La première est qu’elle pousse à participer au processus de minage. Un mineur est quelqu’un de pragmatique. Il regarde le gain potentiel à participer au réseau. Dans un calcul rationnel, un mineur aura plus d’intérêt financier à participer au réseau qu’à vouloir le voler ou le détruire.

La seconde est plus une démonstration de la résistance de Bitcoin. En effet, avec plus 200 milliards de capitalisation, le bitcoin est la proie des hackeurs les plus talentueux. Pourtant, pas une seule fois le bitcoin n’a été mis en danger depuis sa création. Neuf ans, ça semble court, mais je ne connais pas de technologie ayant une telle résistance.


Vous l’aurez compris, le protocole Bitcoin ne saurait survivre sans bitcoin et sont complètement liés et parler de « monnaie numérique » ne permet pas d’en saisir cette dimension.

Ce n’est pas la blockchain qui est révolutionnaire, c’est le Bitcoin !

 

Avis aux investisseurs du dimanche

Je vois de plus en plus de personnes se gargariser de leurs récents investissements sans vraiment comprendre dans quoi elles se lancent.

Sachez-le, l’investissement dans les cryptomonnaies demande un gros investissement en temps afin de bien comprendre dans quoi vous vous lancez.

Un investisseur avisé :

  • doit savoir son horizon d’investissement (2 jours ? 1 mois ? 10 ans ?) ;
  • ne doit jamais investir plus que ce qu’il peut se permettre de perdre ;
  • doit pouvoir expliquer facilement le fonctionnement de son investissement (implique une bonne compréhension préalable) ;
  • doit connaître l’état du marché actuel (surtout lorsqu’une crypto promet de “disrupté” son marché) ;
  • doit identifier les risques de son investissement (fiscalité, législation, fluctuation de marché etc…) ;
  • doit mettre son égo de côté.

Sans cela, l’investisseur est quasiment certain de se retrouver ruiné.

L’investissement dans une cryptomonnaie ne diffère pas d’un autre.

L’investissement dans le bitcoin est un acte de conviction et un investisseur convaincu ne devrait pas céder à la tentation de regarder au jour le jour le cours de sa cryptomonnaie favorite (hormis si vous êtes un trader dans l’âme auquel cas, je n’ai rien à vous apprendre).

Si malgré les risques à venir (explosion de la bulle, risque législatif etc…), vous êtes convaincu du succès de certaines cryptomonnaiesje vous souhaite la bienvenue.